Toute économie repose sur un socle physique, sur la capacité à mobiliser une énergie abondante, stable et bon marché. Produire, transporter, transformer, consommer, rien n’est possible sans ce flux invisible.
L’électricité, fondement invisible de toute économie
Les économistes rappellent que les grands chocs économiques du passé furent souvent précédés par des crises énergétiques. La crise argentine de 2001 a suivi le déclin de la production pétrolière nationale dès 1998. Celle de la Grèce au début des années 2010 fut aggravée par la flambée des prix mondiaux du pétrole et le déclin du lignite domestique. Même le ralentissement global de 2008 trouve une partie de son origine dans le pic pétrolier conventionnel atteint entre 2006 et 2008.
Ces exemples montrent que lorsque l’énergie vacille, l’économie s’effondre. L’électricité, désormais au cœur de toutes les activités humaines, devient le nouveau socle. Les véhicules électriques, les centres de données, l’intelligence artificielle, mais aussi l’électrification des transports et de l’industrie, imposent une demande croissante et structurelle. Une électricité abondante et bon marché conditionne la robustesse d’une économie moderne.
Lénine avait pressenti cela dans une formule restée célèbre : « Le socialisme, ce sont les soviets plus l’électricité. » Derrière le slogan, reste l’intuition que la maîtrise de l’électricité est nécessaire à tout projet politique et économique durable.
Chine et États-Unis, deux trajectoires énergétiques opposées
La Chine a fait ce choix. Elle a choisi d’anticiper. En vingt ans, sa production d’électricité a doublé, dépassant largement celle des États-Unis. Elle est devenue le premier producteur mondial, investissant massivement dans le solaire, l’éolien et l’hydraulique, tout en lançant le nucléaire de nouvelle génération, comme les réacteurs au thorium. Le gigantesque barrage du Yarlung Tsangpo, en construction au Tibet, symbolise cette ambition : produire une quantité d’énergie capable d’alimenter à elle seule l’équivalent d’une grande économie européenne.
Mais Pékin ne se limite pas à produire. Elle électrifie son économie de fond en comble avec 44 000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse, 700 000 bus électriques, plus d’un demi-million de camions électrifiés et un marché automobile où la part des véhicules électriques est sans équivalent. Surtout, la Chine exporte son modèle énergétique. Ses entreprises bâtissent des centrales et des réseaux au Laos, au Brésil ou en Afrique, souvent financés et réglés en Renminbi (la devise chinoise). Cette stratégie associe souveraineté énergétique et internationalisation monétaire. L’électricité devient une ressource.
À l’opposé, les États-Unis s’enferment dans une logique de stagnation et de dépendance fossile. Leur production électrique n’a pas beaucoup progressé depuis 2005 et leurs infrastructures vieillissantes peinent à absorber la demande croissante des centres de données et de l’intelligence artificielle. La vague de froid du Texas en 2021, qui a provoqué une explosion des prix de l’électricité et plongé des millions d’habitants dans le noir, a révélé la fragilité du réseau américain, isolé et incapable d’importer de l’énergie.
L’addiction au gaz de schiste et au pétrole maintient Washington dans une impasse. Il lui faut préserver à court terme une énergie abondante mais polluante, au prix d’une incapacité à engager une transition sérieuse. Loin de la planification chinoise, les États-Unis se retrouvent prisonniers d’un système dominé par des investisseurs exigeant des rendements rapides, incapables de soutenir des projets à 30 ou 40 ans.
Court-termisme ou planification : deux visions du futur
En fait, deux logiques économiques s’affrontent. La Chine a fait le choix de la planification stratégique : anticiper les besoins énergétiques, investir massivement dans des infrastructures lourdes, aligner énergie, industrie et géopolitique. Ce modèle, adossé à son « économie socialiste de marché » lui permet de supporter le coût initial de projets colossaux qui ne deviendront rentables qu’après plusieurs décennies.
Les États-Unis mais aussi l’Union européenne, au contraire, incarnent le court-termisme structurel. Leurs choix énergétiques sont dictés par la logique financière des marchés, obsédés par les profits immédiats. Cette myopie les condamne à gérer des crises successives plutôt qu’à construire un système robuste.
L’ombre de la guerre derrière l’énergie
Derrière les discours sur la démocratie ou la sécurité, les conflits récents portent l’empreinte des hydrocarbures. La guerre d’Irak en 2003 a scellé l’emprise américaine sur le pétrole irakien. En Syrie, le contrôle des oléoducs et des zones gazières a structuré une partie des enjeux géopolitiques. Le Venezuela, détenteur des plus grandes réserves pétrolières mondiales, subit depuis des années sanctions et tentatives de déstabilisation. L’Iran, pilier énergétique du Golfe, reste sous pression permanente de Washington.
Chaque fois, pétrole et gaz apparaissent comme les véritables nerfs de la guerre. Les États-Unis, soucieux de préserver le rôle du pétrodollar et leur influence sur l’approvisionnement mondial, sont restés en première ligne. Cette centralité des hydrocarbures dans les conflits rappelle que l’énergie n’est pas seulement un facteur économique, mais souvent la véritable raison de conflits armés.
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Chine vs États-Unis – L’électricité en chiffres (2023) |
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Chine |
États-Unis |
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Production d’électricité |
9 200 TWh |
4 600 TWh |
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Part des renouvelables |
36 % (hydraulique, solaire, éolien) |
22 % (principalement solaire et éolien, mais gaz dominant) |
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Infrastructures emblématiques |
44 000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse électrifiées ; 700 000 bus électriques ; méga-barrage du Yarlung Tsangpo en construction |
réseau vieillissant, production stagnante depuis 2005, dépendance persistante au gaz de schiste et au pétrole |
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La Chine investit dans l’électricité comme matrice de puissance, tandis que les États-Unis prolongent un modèle hérité du XXe siècle. |
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De la houille au nucléaire – La reconversion chinoise
La Chine, qui dispose de la plus grande flotte mondiale de centrales à charbon avec 1 190 gigawatts de capacité installée, explore une stratégie inédite : convertir les centrales à charbon obsolètes en sites nucléaires.
Son objectif est de réduire la dépendance au charbon, responsable de fortes émissions, tout en accélérant la transition vers une électricité bas-carbone. Elle compte réutiliser l’infrastructure existante (réseau électrique, accès à l’eau de refroidissement) des anciennes centrales à charbon pour y installer des réacteurs nucléaires compacts de quatrième génération, réputés plus sûrs et résistants aux risques de fusion.
De nombreuses technologies sont à l’étude ; réacteurs à haute température refroidis au gaz, réacteurs au thorium et autres modèles capables d’alimenter directement les turbines des anciennes centrales.
Environ 100 gigawatts de centrales à charbon devraient être mises hors service d’ici 2030 et pourraient être converties.
Les seules centrales à charbon chinoises actuelles produisent assez d’électricité pour alimenter à elles seules l’ensemble des États-Unis. Pékin entend transformer ce socle colossal en un atout nucléaire propre et sûr, plutôt que de le démolir.
Hervé Poly, Liberté Actus